En Juin 2003, Patrick Brion dans DVDvision revenait sur la carrière (tumultueuse) du film culte The Swimmer, nous vous proposons la quasi intégralité de l'article.
La Solitude du Nageur de Fond
Le moins que l'on puisse dire est que le sujet de The Swimmer, réalisé par Frank Perry (David & Lisa) en 1968, est surprenant. Vous pouvez en juger vous-même : Ned Merrill (Burt Lancaster) décide de rejoindre sa propre maison du Connecticut, distante d'une douzaine de kilomètres, en nageant, de piscine en piscine, utilisant celles de ces amis et connaissances, tout au long du trajet... L'origine de cette fort curieuse histoire est une nouvelle de John Cheever parue en 1964 dans le New Yorker. Le producteur Sam Spiegel (African Queen, Lawrence d'Arabie) s'y intéresse aussitôt et va chercher à en produire l'adaptation, souhaitant, comme d'habitude, pouvoir tout contrôler, du budget au casting, du scénario au montage. William Holden, Paul Newman, George C. Scott et Glenn Ford, contactés pour jouer le rôle de Ned Merrill déclinent la proposition, ne voulant pas apparaitre dans un personnage qui va se révéler négatif. Burt Lancaster, âgé de cinquante-deux ans, accepte, comme s'il voulait - à l'image du héros de l'histoire - se prouver à lui-même qu'il est toujours aussi jeune et que la vedette bondissante du Corsaire rouge et de la Flèche et le flambeau est encore et toujours dans une forme athlétique. Il s'entraîne d'ailleurs à cet effet avec Bob Horne, le coach de natation de l'UCLA. Le tournage pose rapidement de multiples problèmes et la scénariste Eleanor Perry, femme du réalisateur, s'oppose régulièrement à Burt Lancaster. Depuis qu'il est lui-même devenu metteur en scène (L'Homme du Kentucky, Le Flic se rebiffe), Lancaster se laisse diriger de moins en moins facilement, jugeant souvent qu'il est mieux à même que quiconque de décider ce qui doit être fait.
Le film dont le tournage a commencé en 1966 est enfin terminé en 1967 mais le premier montage est jugé catastrophique. Sam Spiegel demande conseil à Elia Kazan dont la compagne Barbara Loden joue dans le film. Prudemment, Kazan ne donne aucun avis définitif alors qu'Arthur Penn prend le parti de Frank et d'Eleanor Perry. Il se souvenait sans doute de la manière dont Lancaster l'avait remplacé par John Frankenheimer lors du tournage du Train... Sam Spiegel accepte de retourner certaines scènes notamment toute la séquence entre Barbara Loden et Lancaster, mais l'actrice refuse de participer au film et Frank Perry est tout aussi mécontent à l'idée de ces "retakes". Spiegel choisit alors d'engager un nouveau réalisateur, Sydney Pollack et une nouvelle actrice, Janice Rule, celle qui fut la superbe égérie de la beat generation dans Les Rats de cave de Ranald MacDougall aux côtés de George Peppard et de Leslie Caron. Jugeant que le film lui a déjà coûté assez cher, il offre à un contrat peu gratifiant à Janice Rule, lui garantissant qu'elle aura par testament - lorsqu'il mourra! - le magnifique tableau de Chagall Les Amants qui trône dans sa chambre à coucher. Janice Rule accepte, mais découvre après la mort de Spiegel que le Chagall en question est parti dans un musée...
Burt Lancaster, de son côté, renonce à être payé pour ces nouvelles journées de tournage. Le bruit court qu'il aurait même - pour sauver le film - payé beaucoup plus que prévu. Parallèlement au travail de Sydney Pollack, Slavomir Vorkapich, le fils de Slavko Vorkapich, célèbre pour les séquences de montage de quelques-uns des plus célèbres films de la M.G.M. (Marie-Antoinette, San Franscico, Test Pilot), assure la nouvelle réalisation de plusieurs scènes jugées moins importantes. En dépit - ou à cause ? - de tous ces remaniements, le film ne sera jamais jugé satisfaisant et ne récupérera pas son coût de production. Échaudée, la Columbia prendra d'ailleurs la décision de ne pas le sortir en France* ! Vingt-cinq ans plus tard, grâce au DVD, on peut donc le (re)découvrir et le juger peut-être plus sereinement. Malgré quelques inutiles effets de réalisation (ralentis, flous artistiques, etc) qui peuvent paraitre démodés et beaucoup trop liées aux recherches de l'époque The Swimmer ne manque pas d'une certaine sensibilité. L'Amérique est alors, notamment à cause de la guerre du Vietnam, en pleine contestation et le film témoigne de la volonté de mettre en doute le rêve doré promis par l'American Way of Life, Ned Merrill, le héros du film, n'est pas un de ces jeunes et brillants cadre qui commencent à prendre le pouvoir dans la finance comme dans la politique mais un homme usé dont on va bientôt découvrir les nombreuses failles. [...]
DVDvision #33 - Juin 2003, p.92-93
*Différents échos annoncent au contraire une sortie technique en France en mai 1968 pendant les célèbres événements. Le site Internet IMDB, lui parle d'une sortie en septembre 1968. Encore des éléments qui renforcent le caractère "maudit" du film.
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