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Rétro-viseur : Singapore Sling (1990)

Depuis plusieurs semaines, voire des mois maintenant, la Grèce fait l'objet de toute les critiques au sein de l'Union Européenne. Et pourtant le pays de Platon affiche une belle inventivité cinématographique depuis plusieurs années (et ce malgré une économie pas toujours propice à produire des projets hors normes) et même une reconnaissance internationale avec Canine (Dogtooth), Attenberg ou le récent Alps de Giorgos Lanthimos, vainqueur du Lion d'Or à Venise.

Parmi la petite dizaine de films réalisés par Nikos Nikolaidis (1939-2007), seul Singapore Sling est disponible en dvd dans notre pays. Une injustice tant le cinéaste grecque aurait, avec un peu de communication, pût provoquer l’engouement autour de son cinéma. D'autant plus que ce film a rencontré une belle presse lors de sa sortie en salles en 1999. A noter que le long-métrage avait déjà été projeté en France lors de la première édition de l’Étrange Festival en 1993.

Laissons place à Jean-Baptiste Thoret pour nous dire tout le bien qu'il pense du film.


Laura Eros

Deux femmes en dentelles, le pubis à l'air, tentent d’enterrer le corps d'un homme (leur chauffeur) en plein nuit. Il pleut averse, le sol est boueux et non loin de là, un homme blessé sorti d'un polar de Ulmer, se hisse dans sa voiture. Le lendemain soir, il sonne à la porte de leur maison. Ambiance Cul de Sac. Ses hôtes, une mère et sa fille, l'accueillent flingue à la main mais pubis toujours à l'air. L'homme, qui se fait appeler Singapore Sling, deviendra le jouet sexuel de ces deux femmes et écopera d'un cocktail scato à souhait où les kiwis remplacent les godes, où l'urine et le vomi coulent à flots, où tortures, viols et humiliations en tous genres composent l'échine narrative de ce huis clos claustro pour le moins surprenant. D'un côté, la mère, croisement foutraque entre Bette Davis de Baby Jane (Aldrich, cinéaste préféré de Nikolaidis), l'Elizabeth Taylor de Virginia Woolf, et la version lesbienne et déjanté de Marisa Berenson dans Barry Lindon. De l'autre, la fille, prénommé Laura, Lolita perverse dépucelée par un père momifié et droguée au sexe. Comme son titre l'indique (pour ceux qui ne le savent pas, le Singapore Sling, dégusté par Bogart dans Casablanca, se compose de 4/10 de gin, 4/10 de guigolet 2/10 de jus de citron et de Perrier) cet ovni filmique, à la fois cru (évisération, nécrophilie, j'en passe et des bien meilleures) et terriblement raffiné, nous propose un voyage (ou une descente aux enfers, au choix) dans les fantasmes sexuels d'une mère et de sa fille. Ambiance film noir (la photo noir et blanc est somptueuse), bourré de réminiscences du genre (Laura de Preminger évidement), voici un concentré époustouflant de l'abjection sous toutes ses formes. Cruellement beau, Singapore Sling pourrait bien être le Repulsion des années 90.

Jean-Baptiste Thoret in Starfix #8, nouvelle génération, Septembre-Octobre 1999 p.54


Quelques mots du réalisateur :
En tournant Singapore Sling, j'avais l'impression de faire une comédie qui comprendrait quelques éléments de la tragédie grecque antique. Plus tard, quand des critiques européens et américains ont dit du film qu'il était l'un des plus dérangeants de l'histoire du cinéma, j'ai commencé à croire que je devais être fou. Puis, quand les censeurs ont interdit le film en Grande-Bretagne, j'ai réalisé, qu'après tout, nous devions tous l'être un peu.

J'ai écrit le scénario il y a vingt ans. J'ai donc un peu de mal à me rappeler où j'ai trouvé mon inspiration. Je pense avoir été influencé par les films noirs européens, et notamment par ceux du Kammerspiel. Mes écrivains préférés sont Gogol et Chandler, mon cinéaste préféré Aldrich.

Michèle Valley est française, Meredyth Herold américaine. Il aurait été impossible de trouver en Grèce, parmi cette société artistique conservatrice de classe moyenne, quelqu'un qui eût accepté de jouer à leur place. Michèle ne parle français que dans des moments de forte émotion. Singapore Sling parle grec parce qu'il est censé me représenter dans le film.

Nous avons tourné ce film dans une atmosphère érotique, humide, violente et très dangereuse. Un critique m'a un jour demandé si les acteurs vomissaient réellement. Je ne lui ai jamais répondu.

Je suis en train de finir un nouveau film, 'On se retrouvera en enfer, ma chérie'. S'il s'est passé pratiquement dix ans depuis mon dernier film pour le cinéma, c'est à cause des thèmes que j'aborde. Mais j'écris des romans, des scénarios, réalise des publicités. Mon nouveau film est une nécroromance. Une histoire d'amour entre un cadavre et deux femmes.

J'essaye de travailler dans la mesure du possible avec les mêmes techniciens et les mêmes acteurs. Mes films sont le résultat d'un travail collectif, ce qui fait que nous n'avons pas besoin de beaucoup d'argent pour les faire. Ils sont financés par des amis et par le Centre du Cinéma Grec.

source : ED Distribution

Le film est en vente sur theendstore.com

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Avis aux éditeurs, responsables de festivals, décideurs en tout genre, si vous souhaitez découvrir le premier long-métrage (tout aussi remarquable que Singapore Sling) vous pouvez visionner Euridice BA2037 (1975) ci dessous.


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