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Alain Robbe-Grillet, l'immortel

"J'estime - quant à moi - que le cinéma selon Robbe-Grillet est une méchante fumisterie et qu'on n'a pas le droit d'abuser à ce point des lauriers acquis dans d'autres domaines pour s'en servir avec autant de désinvolture"
Henry Chapier, Combat, 28 mars 1968 in Obliques #16-17 p.265
"(Robbe-Grillet) est plus ou moins le chef de file de ce que l'on a appelé alittérature alors que tout au contraire ses trois films sont d'un romanesques assez délirant, non dépourvu d'intérêt certes, mais qui me paraissent en contradiction absolue avec ses recherches littéraires, et on peut se demander à quel moment Robbe-Grillet est sincère lorsqu'il écrit ou lorsqu'il tourne".

G. Charensol in De la lettre à l'image, émission de télévision (1969) in Obliques #16-17 p.270

Robbe-Grillet ou l'art du contre pied ? Peut-être, est-ce là, où réside le malaise et le malentendu envers l’œuvre cinématographique du "porte-drapeau" du Nouveau Roman avec la critique. Avoir proposé un cinéma d'avant-garde aussi bien cérébral que érotique en contradiction avec sa "nature" de romancier, porteur d'un genre littéraire ou les éléments les plus caractéristiques (intrigue, psychologie) sont alors rejetés en bloc. Un détail qui n'a pas dû jouer en sa faveur. Et pourtant, cette cause perdue du cinéma français pour les uns, cinéaste culte pour les autres, se voient offrir une seconde jeunesse via internet (de nombreux articles élogieux témoignent de l'attractivité du cinéma de Robbe-Grillet) ou d'artiste contemporain comme Matthew Barney.

Le charme ostentatoire des actrices au sein de ses longs-métrages n'est pas étranger à ce regain d'intérêt, mêlant Eros et Thanatos jusqu'au vertige. Mais, c'est surtout l'incroyable complexité scénaristique, pour ne pas dire parfois labyrinthique, qui étonne et qui fascine. Les libertés prisent par Robbe-Grillet à l'égard des conventions sont également rafraichissantes et peuvent faire penser à la liberté de la Nouvelle Vague (regard caméra, interjection, question au spectateur).

Alain Robbe-Grillet (1922-2008) a réalisé dix longs-métrages qui ont chacun à leur tour définit un cinéma du trouble, du ressassement, tordre la réalité jusqu'à son point de rupture vers l'imaginaire. Six sont disponibles dans notre boutique en ligne. Présentation :

Trans-Europ-Express (1967)


Un scénariste (Alain Robbe-Grillet lui-même), un producteur et leur secrétaire prennent en gare du Nord le Trans-Europ-Express en direction d'Anvers. L'ambiance du train, le charme de la conversation, leur rencontre fortuite avec Jean-Louis Trintignant (un voyageur comme eux) leur inspire un scénario policier. Jean-Louis Trintignant devient Elias, apprenti trafiquant de disque, effectuant à Anvers une mission d'essai : prendre livraison d'une valise de cocaïne pour la ramener à Paris. A Anvers, Elias se voit engagé dans l'engrenage d'un monde peuplé de policiers et d'espions (ou de faux policiers et de faux espions) auxquels il se doit constamment d'échapper où de rendre des comptes. Mais l'imagination inconsciente des auteurs ne domine bientôt plus leur héros. Celui-ci poursuit, parallèlement à sa mission policière, un délire sexuel obsédant. Aussi bien, il contacte une prostituée, Eva, qui se prête d'assez bonne grâce à ses manoeuvres érotico-sadiques. Elias, découvrant qu'Eva appartient au réseau ennemi, l'étrangle au cours d'une scène orgiaque. Exploitant son obsession, la police lui tend un piège dans une boite de nuit spécialisée. Il sera abattu. Le train entre en gare d'Anvers. Les auteurs en descendent, ainsi que Jean-Louis Trintignant.

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L'Homme qui ment (1968)


Dans une petite ville d'une région montagneuse encore toute vibrante des souvenirs de la guerre et de la Résistance, un homme jeune et élégant, Boris, arrive et se mêle aux propos des buveurs d'une taverne. Ceux-ci évoquent la disparition d'un nommé Jean au cours d'une mission dangereuse. Boris se fait indiquer la maison de ce Jean, où vivent ensemble et sans contact avec le monde extérieur sa femme, sa soeur et une servante qui ne sort que pour les courses indispensables. Les trois femmes, que leur solitude rend un peu névrosées, se livrent à des jeux bizarres : collin-maillard interminable, simulacre d'exécution capitale, etc. Boris se met à leur raconter des récits qu'il invente au fur et à mesure qu'il parle. Il prétend avoir connu Jean, l'avoir sauvé ou l'avoir trahi, présentant ce mystérieux résistant dont personne ne sait s'il vit encore, tantôt comme un héros, tantôt comme un traître. La mythomanie de Boris ne l'empêche pas de séduire la servante et même la soeur de Jean. Le père de celui-ci, qui vivait comme un reclus, se terrait dans ses appartements et n'adressait la parole à personne, vient de mourir. Son deuil encore tout proche, la femme de Jean est pourtant l'objet de la convoitise de Boris. Elle se sent d'autre part secrètement fascinée par l'étranger dont le flot de paroles, d'où il ne fait aucun doute que toute vérité tangible est absente, l'entraîne comme hors d'elle-même, dans un autre monde insolite et irréel. Elle va céder à Boris quand Jean réapparaît. Sans un mot, il tire plusieurs balles de revolver sur Boris qui tombe à terre, mortellement frappé. Quelques secondes après, alors que tout le monde a disparu, il rouvre les yeux et se relève. Cette fols, il assure qu'il va dire toute la vérité. Il veut reprendre son récit à zéro. Et il repart dans un monologue halluciné où, une fois de plus, l'imaginaire et le rêve se mêlent indiscernablement au réel.

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L'Eden et après (1970)


Dans un café qui ressemble à un labyrinthe, des étudiants se réunissent pour mimer et imaginer une réalité qui dépasse la grisaille de leur vie quotidienne. Ce ne sont que sévices, tortures, viols qui constituent la substance de leurs mimodrames. Un soir, arrive parmi ces jeunes gens insatisfaits un étranger qui se mêle aussitôt à leurs parodies cérémonieuses et leur donne un tour plus inquiétant, plus insolite. Il se met à raconter aux jeunes clients du bar les aventures d'une Afrique de sable, de soleil et de rêve . Il passionne les garçons, fascine les filles. Violette, l'une d'entre-elle, accepte un rendez-vous nocturne avec lui. Le décor est une immense usine en construction, autre labyrinthe, non loin d'un canal. A l'issue d'un parcours terrifiant, jalonné par les apparitions fantomatiques de ses camarades, Violette découvre le cadavre de l'étranger. Peu après, le corps s'est volatilisé et Violette ne peut le montrer à ses camarades. Elle n'a plus pour rêver qu'une carte postale de Tunisie, trouvée dans les poches du cadavre. Là-bas, elle retrouve ses camarades du bar l'« Eden », s'activant dans la poursuite d'un tableau de grande valeur, dérobé au domicile de Violette. Elle rencontre aussi un sosie de l'étranger, un sculpteur qui impose à ses modèles féminins, toujours nus, des épreuves de nature sadique. Violette sera enlevée, séquestrée, torturée, etc. Comme dans le bar l'« Eden » mais avec plus de force et d'intensité. Quant au sculpteur, il trouvera la mort au bord d'un canal tout comme l'étranger. Les protagonistes de la rêverie se retrouvent tous à l'« Eden ». Ce qu'ils ont vécu n'était qu'un rêve prémonitoire, car c'est maintenant que l'étranger entre et fait son apparition parmi eux.

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N. a pris les dés (1971)


Le titre de ce film n'est plus ni moins que l'anagramme de L'Eden et après. Cette variation autour des mêmes acteurs donne une relecture différente aux conséquences également différentes. Ce montage était destiné à l'origine pour la télévision française.

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Glissements progressifs du plaisir (1974)


Alice est enfermée dans une prison pour mineures tenue par des religieuses. Elle est accusée d'avoir tué Nora, son amie. Celle-ci a été retrouvée morte, attachée dans son lit, le coeur percé d'une paire de ciseaux. L'interrogatoire commence dans sa cellule, dont l'architecture cubique et la lumière rappellent l'appartement du crime. La confession d'Alice mêle la réalité, les phantasmes, les mensonges et les complaisances d'un imaginaire délirant. Une jeune avocate entre dans la cellule d'Alice. Ses traits rapellent ceux de Nora. Elle se laisse abuser par les fantaisies verbales d'Alice, se prête aux jeux lesbiens et connaît le sort de l'infortunée Nora.Or, Alice, meurtrière de l'avocate, était innocente...

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La Belle Captive (1982)


Dans le bar où il vient d'entrer, Walter est soudain fasciné par l'une des jeunes femmes qui dansent devant lui. Elle irrite son esprit, elle trouble ses sens, elle l'attire irrésistiblement. Mais un appel téléphonique attire Walter ailleurs. Sara, au nom de l'Organisation, lui fixe un rendez-vous pour une nouvelle mission: porter un pli urgent au sénateur Henri de Corinthe en danger de mort. Et Walter s'enfonce dans la nuit. Pour trouver bientôt sur sa route celle qui le fascinait tout à l'heure, couchée à terre, blessée, les mains enchaînées dans le dos. Plus de mission alors. Pour la faire soigner, il emmène la jeune femme dans une maison voisine, somptueuse villa emplie d'étranges messieurs en smoking dont l'un, Morgentodt, qui se dit médecin, les enferme dans une chambre. Où Walter, au matin, se réveille seul, avec autour de lui une demeure vide et délabrée. Il en sort, décidé à s'acquitter de sa mission mais aussi à retrouver Marie-Ange dont l'image ne le quitte pas. Il apprend bientôt par un journal que celle-ci était la fiancée d'Henri de Corinthe qui vient d'être assassiné. Walter alors cherche à comprendre: Sara, l'Organisation, sa mission, Henri de Corinthe, Marie-Ange, tout semble étrangement lié. Mais le docteur Morgentodt ne se souvient de rien; mais le père de Marie-Ange affirme que sa fille est morte depuis sept ans; mais l'inspecteur Francis soupçonne Walter du meurtre du sénateur; mais Walter reçoit une carte postale de Corinthe; tant de choses si inexplicables qu'il finit par se perdre totalement. Jusqu'à ce qu'il retrouve Sara, laquelle, comme un ange de la mort, assiste à son exécution. Est-ce bien là une réalité?...

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A l'instar de Jean Rollin, (dont les premiers longs-métrages viennent de connaitre les joies de la haute definition avec la sortie de cinq blu-ray... en import), Alain Robbe-Grillet est un cinéaste maltraité, méprisé et même encore aujourd'hui raillé notamment par François Forestier sur son blog "Les Nanars de Forestier". Le temps jugera... espérons qu'un éditeur français se décide de prendre le "cas" Robbe-Grillet au sérieux et nous sorte un coffret digne de ce nom rendant hommage à ce réalisateur passionnant et important du cinéma français trop longtemps restait dans l'ombre du film d'Alain Resnais, L'Année dernière à Marienbad (1961), dont il signa le scénario et le découpage.

Un grand merci à Philippe Robert pour son aide.

Tous les synopsis sont issus des Fiches cinéma

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