Les cinéphiles râlent. Voire s'énervent carrément. « Il est très choquant que Boris Eustache s'abrite derrière des problèmes administratifs ou de susceptibilité pour refuser la sortie en DVD des films de son père », s'agace le cinéaste Luc Béraud, assistant réalisateur de « la Maman et la Putain ». Même son de cloche sur le Net où l'on met en cause la gourmandise financière de l'héritier. Pourtant, cycliquement, depuis des années, la parution vidéo de « la Maman et la Putain » est annoncée. Un coffret intégral des 13 films du réalisateur est même promis pour fin 2012 ou début 2013 par la société Tamasa, distributrice des films d'Eustache. « Il est un peu tôt pour avoir une date de sortie plus précise, affirme Philippe Chevassu, directeur de la société, mais nous allons commencer à nous atteler à la restauration. » Formidable nouvelle attendue depuis l'apparition du disque numérique, soit depuis plus de quinze ans ! Hélas, il n'en sera rien. « Tant que l'on voudra que je signe des contrats qui m'engagent pendant dix ans et que l'on ne me donnera pas 50 % de droits d'auteur, je ne le ferai pas, dit Boris Eustache sans détour. Désolé pour les cinéphiles, mais s'ils veulent vendre leurs affaires au quart de leur prix, c'est leur problème. Moi, je refuse. » Dans le milieu du cinéma comme partout, les difficultés surgissent lorsqu'il est question d'argent.
Florence Raillard 12 mars 2012- publié sur CinéObs
Nous commençons la semaine par une grande nouvelle avec la sortie en novembre 2011 de l'intégralité de la filmographie du cinéaste français Jean Eustache dans un coffret 7 dvd + un livre de 64 pages.
Rendez vous compte, jusqu'à ce jour aucun film n'était disponible*, une véritable aberration pour l'auteur de La Maman et la putain.
En 2006, le Centre Pompidou organisait un cycle Jean Eustache. Nous espérons donc retrouver les films suivants :
> La Soirée (1963) 8mn
avec Chantal Simon / Jean-André Fieschi /Paul Vecchiali André S. Labarthe /
Premier film de Jean Eustache, librement inspiré d'une nouvelle de Maupassant, inachevé et sans bande son. Ce film retrouvé il y a une dizaine d'années fait l'objet d'une projection inédite.
« Un homme invite des amis, […] pour leur donner lecture d'un texte sur le cinéma dont il est l'auteur et qui vient d'être publié. On pense qu'il s'agit de « Vivre le film », l'article publié par Jean-Louis Comolli dans les "Cahiers" […]. L'ambiance a quelque chose de très Nouvelle Vague […]»
Cahiers du cinéma n° 523, avril 1998
> Du côté de Robinson (1963) 42mn
avec Aristide / Daniel Bart / Dominique Jayr / Jean Eustache
Un dimanche à Montmartre, deux copains abordent une jeune femme. Le trio finit au Robinson, un dancing à Montmartre. Mais rapidement la jeune femme se désintéresse d'eux.
« Pour les premiers courts métrages que j'ai faits, j'avais dicté les plans et si je ne les avais pas écrits sur le papier, je les avais écrits dans la tête. »
J. Eustache, Caméra/stylo, septembre 1983
> Les mauvaises fréquentations (1963) 42mn
Du côté de Robinson titre alternatif
> La rosière de Pessac (1968)
Depuis 1876, selon les dispositions du testament d'un habitant de Pessac, le maire et un jury procèdent chaque année a l'élection d'une "rosière" en choisissant, pour ses qualités morales, une jeune fille qui recevra un prix qui fera honneur à la communauté.
> Le père Noël a les yeux bleus (1969) 50mn
Dans l'espoir de pouvoir s'offrir un duffle coat, Daniel (Jean-Pierre Léaud) multiplie les petits boulots. C'est ainsi qu'il accepte la proposition d'un photographe : se déguiser en Père Noël pour poser dans la rue avec les passants.
> Le cochon (1970) 50 mn
Au petit matin, dans une ferme isolée, quatre hommes s'apprêtaient à tuer le cochon. L'animal est ligoté, égorgé et dépecé. Il devient peu à peu boudin, lard, saucisse, jambon ... A la tombée de la nuit, le rituel a été accompli inexorablement ...
> Numéro zéro (1971) 107mn
Odette Robert titre alternatif
A table, Jean Eustache, de trois-quarts dos, fait face à sa grand-mère, Odette Robert, 71 ans. Filmée par deux caméras, celle-ci raconte sa vie, deux heures durant, à travers anecdotes et souvenirs. Quelques éclats de rire, quelques gestes : lisser la nappe, faire tomber la cendre de la cigarette, tripoter le cendrier ou un verre de whisky. Elle est rarement interrompue par son petit-fils ("mon petit" l'appelle-t-elle) sinon pour des précisions, des relances ("tu vas trop vite", "c'était où ?", "je me souviens qu'il y avait beaucoup de bébés qui mouraient"…), un coup de téléphone impromptu auquel il répond. Et puis, à intervalles réguliers, Eustache fait office de clapman et signale les changements de bobines. Le projet consistait à enregistrer et montrer l'entretien dans sa continuité, Eustache s'y tient à la lettre.
> La maman et la putain (1973) 217mn
Alexandre, jeune homme oisif, est cerné par trois femmes : celle qu'il n'a pas tout à fait fini d'aimer, celle qui partage sa vie et celle qu'il veut séduire. Le film reçut le Grand Prix Spécial du Jury au festival de Cannes en 1973.
> Mes petites amoureuses (1974) 123mn
avec Martin Loeb / Ingrid Caven / Jacqueline Dufranne/Dionys Mascolo / Maurice Pialat
Daniel vit entre sa grand-mère et sa bande de copains. Alors qu'il doit entrer au collège, sa mère le rappelle auprès d'elle et Daniel part s'installer à Narbonne où il connaît ses premiers émois amoureux.
« Ce film-là, c'est le passage d'un enfant de la vie normale à la marginalité, alors que tous mes autres films se situaient dès le début, dans la marginalité. »
J. Eustache, L'Humanité, 1er janvier 1975
> Une sale histoire (1977)
Volet « fiction » : avec Michaël Lonsdale / Jean Douchet / Douchka / Laura Fanning / Josée Yann
Volet « document » : avec Jean-Noël Picq / Élisabeth Lanchener/Françoise Lebrun / Virginie Thévenet / Annette Wademant
La même histoire de voyeurisme racontée par deux personnes : d'abord par Michaël Lonsdale, dans une version « fiction », puis dans une version « document », par Jean-Noël Picq.
« C'est le film impossible à faire, je le déclare impossible. J'essaie de l'écrire, et je ne le peux pas, donc je la fais raconter. »
J. Eustache, Cahiers du cinéma n°284, janvier 1978
> La rosière de Pessac (1979) 67'
avec les habitants de Pessac, la Rosière/ le Maire
La même élection de la Rosière, onze ans plus tard.
« Je voudrais que les deux films soient montrés ensemble : d'abord celui de 79, ensuite celui de 68. Une façon de dire aux gens : si vous avez envie de savoir comment ça se passait avant, restez, vous allez voir. »
J. Eustache, Cahiers du cinéma, n°306, décembre 1979
> Les photos d'Alix (1980) 18'
avec Alix Cléo-Roubaud / Boris Eustache
Une jeune femme, Alix Cléo-Roubaud, amie de Jean Eustache, commente des photographies qu'elle a prises. Peu à peu, la concordance entre les photos montrées et les commentaires se brouille.
« Le spectateur perd tout espoir de définir un rapport stable entre ce qu'il entend et ce qu'il voit. Chaque fois qu'une clé est proposée, elle est démentie. »
B. Eisenschitz, Cinéma 06, 2003
> Le jardin des délices de Jérôme Bosch (1980) 34'
Épisode de l'émission Les Enthousiastes, diffusé le 13 avril 1981 sur Antenne 2
Un tableau de Jérôme Bosch raconté par Jean-Noël Picq à Sylvie Blum, Catherine Nadaud et Jérôme Prieur.
«Il y avait chez lui [Jean Eustache] un phénomène de récupération cinématographique, la tentative impossible de reprise du passé, de reformulation de ce qui n'a été non pas vécu mais déjà formulé, avec un sentiment de déjà-vu, de déjà-entendu. »
J.-N. Picq, Cahiers du cinéma n°523, avril 1998
> Contes modernes: A propos du travail (1980) segment Offre d'emploi - 19'
avec Michel Delahaye / Michèle Moretti / Rosine Young / Bertrand Van Effenterre /Jean Douchet
Un homme cherche un emploi, ignorant les processus de sélection des employeurs. Commande de l'INA sur le monde du travail, Contes modernes, à propos du travail, qu'Eustache s'emploie à détourner.
« Les nouvelles procédures d'embauches, graphologie et phonologie, décrites ici dans leur moindre détail, incarnent […] la toute-puissance du jugement. »
E. Burdeau, Cahiers du cinéma n° 523, avril 1998
Le dît coffret avait été annoncé début 2011 dans l'ouvrage "Le dictionnaire Eustache" signé Antoine de Baecque et Angie David aux éditions Léo Scheer. Aujourd'hui sur le site de Tamasa, le distributeur du futur coffret, annonce novembre 2011. Pas encore de visuel, ni de spécification mais croisons les doigts pour que ce décalage de date soit dû en raison d'une volonté de proposer des bonus et des remasterisations de qualité pour un cinéaste entré dans la légende.
Jean Eustache a tourné treize films de tout format et de tout genre, des films courts (plutôt que des courts métrages) et des films fleuves, des films de cinéma et des films pour la télévision, des documents (plutôt que des documentaires) et des fictions, un film célèbre, La Maman et la Putain, et des films discrets. Tous ont une part autobiographique, au sens où Eustache était l’ethnographe de son propre réel.
Ce fut un cinéaste secret, souffrant du manque de succès, mais charismatique. Qu’est-ce qui nous touche tant chez lui, quand Alexandre parle à n’en plus finir, que Véronika rit et pleure dans le même mouvement, que la Rosière sourit ou qu’on découpe le cochon ? Qu’est-ce qui subsiste ainsi, irréductiblement, trente ans après son suicide, en novembre 1981, diamant qu’on ne saurait rayer, regard clair qui ne saurait s’éteindre ?
À ces différentes questions, le Dictionnaire Eustache voudrait répondre, explorant cet univers et cette vie comme un puzzle bio-filmographique, une forme en multiples détails – ces détails dont Eustache était fou –, une marqueterie faite de séquences, d’histoires, d’amitiés, d’amours, de collaborations, de références et de fétiches personnels. Qu’est-ce ainsi que le « désir » ou la « mort » chez Eustache, l’« adolescence » ou le « montage », la « captation du réel » ou le « fondu au noir » ? Pourquoi le « vouvoiement », le « trou », le « passé », le « sexe », la « mélancolie » ou la « drague » ? Quelles places ont occupées ses acteurs, tels Jean-Pierre Léaud ou Françoise Lebrun, ses proches et sources d’inspiration, tels Jean-Noël Picq ou Jean-Jacques Schuhl, ses modèles cinématographiques, tels Murnau ou Renoir ?
Le Dictionnaire Eustache propose une manière originale, ludique, cinéphile et littéraire de décrire et de comprendre l’univers et la vie du cinéaste, curiosité se déclinant sur près de deux cents entrées qui tentent de dire au plus juste qui il était et ce qu’étaient ses films.
Antoine de Baecque
source : Tamasa / Centre Pompidou (pour les synopsis & informations) / Léo Scheer
MAJ 23/05/12
Toujours aucune nouvelle du coffret mais la publicité est toujours active sur le site internet de Tamasa, croisons les doigts pour que cette intégrale soit (enfin) éditée pour les fêtes de fin d'année.
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* en réalité deux ont été proposé avec la revue Cinéma, Le Jardin des délices et Offre d’emploi
5 commentaires:
Il sort vraiment ce coffret ?
On espère mais... pas de nouvelle de l'éditeur. Wait & see
Bon.
On est le 02 avril 2013. Tamasa annonce la sortie du coffret pour "fin 2013". Ça doit vouloir dire qu'il sortira vers 2015.
Or, en 2015, je serai mort.
Merci les cons, je vous aime.
L'arlésienne du dvd...
On est en 2016, et apparemment, il est toujours pas sorti.
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