En plus d'éditer des ouvrages passionnants sur le 7ième art, Capricci produit et distribue des films en dvd. Si leur catalogue est encore succinct, il n'en demeure pas moins que les choix témoignent d'une qualité irréprochable (Albert Serra, Jean Claude Rousseau et Pedro Costa). Leur dernière sortie en date est un événement, tant les films et le réalisateur sont devenus culte au fil des années : Milestones / Ice de Robert Kramer (accompagné de John Douglas pour Milestones)
A la fin des années 1960, Robert Kramer a réalisé Ice (1969), film qui sonde dans les esprits et dans les corps les limites d’un désir de révolution dans le contexte des États-Unis de la guerre du Vietnam et des mouvements contestataires. Selon Kramer lui-même à propos d’Ice : « Ce qui était une projection de science-fiction à la fin des années 1960 est devenu un phénomène répandu dans les années 1970. »
À partir du début des années 1970, le mouvement cherche un second souffle. L’idée de révolution passe désormais par les communautés et la recherche de nouveaux liens avec les populations et les territoires.
Milestones est le fruit de cette nouvelle impulsion. Le film, d’abord entièrement écrit entre 1971 et 1972, est, au fil des deux années suivantes, repensé et tourné avec John Douglas en compagnie d’amis militants et intellectuels. Il est ensuite l’objet d’un long et riche processus de montage par lequel Kramer et Douglas en reformulent encore les fractionnements et tourbillons.
En bonus, pour découvrir davantage sur Milestones et Robert Kramer, voici deux articles. Le premier signé Jean Baptiste Morain publié dans Les inrockuptibles et le second de Cyril Béghin dans les Cahiers du Cinéma.
Ressortie d’un documentaire mythique sur l’Amérique contre-culturelle des années 70.
Pourquoi les grands films ne ressemblent-ils jamais à ce qu’on en dit ? Et si la réponse était dans la question (ils sont grands justement parce qu’ils rétrécissent avec les mots) ? [...]
Ce film s’intitule Milestones et a été réalisé au début des années 70 par les Américains Robert Kramer (1939-1999) et John Douglas. Milestones (“jalons”, “étapes” en français), bien que n’ayant jamais été commercialisé, a été beaucoup vu et aimé. Tous ceux qui l’ont vu, dans des festivals ou des ciné-clubs, en gardent un souvenir ému. Et oui, on découvre nous aussi que Milestones est l’un des plus beaux films de l’histoire du cinéma. Seulement, on se rend compte également qu’il ne correspond pas tout à fait à l’image qu’on en avait. A savoir, celle d’un documentaire sur la fin de la tentative communautaire et révolutionnaire du début des années 70 aux Etats-Unis. Ce qui est vrai mais qui est déjà du journalisme. Car Milestones est d’abord un film dont le montage et le récit pourraient être qualifiés de joyciens. On y voit essentiellement des portraits de jeunes gens dont on ne sait rien sinon ce qui transparaît et se laisse deviner dans leurs dialogues : l’un sort de prison, l’autre attend un enfant, sa mère prépare un film, un type partage son lit avec un potier barbu aveugle. Les scènes et les personnages alternent, on s’attache à eux comme dans un feuilleton, mais on ne sait rien d’autre que ce qu’on voit. Mais il y a davantage. [...] ce que montre Milestones, ce sont des corps d’hommes et de femmes qui se posent des questions sur leur désir, leurs sentiments, dans un grand corps social qui a pour unique nom “Amérique”. Toute tentative de situer davantage le film, de l’inscrire dans un moment précis de l’histoire ou dans une géographie revient à le réduire à ce qu’il évite avec un naturel impressionnant : les clichés.
source : Les Inrocks.com
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[...]Parce qu'il ne faut pas s'y tromper : si les presque 3 heures 30 de la fresque Milestone dépeignent bien quelques clichés hippies, évoquent et documentent des moments clés des luttes de l'époque, c'est dans le constant va-et-vient d'une inassurance à soi et aux événements qui enraye le gel des images et déjoue les identifications. On s'y retrouve difficilement, dans ce flot fragmenté de petites et grandes histoires. Documentaire ou fiction, peu importe, puisqu'il s'agit, pour les quelques cinquante personnages qui passent et peuplent le film, de réinventer leurs vies ; gauchisme certes, mais perpétuellement gauchi à coups de raccords ailleurs à force de voix qui s'entremêlent, se répètent, s'embrouillent à bout de course dans la nature, sur une pierre, un feu, un peu d'écume.
Milestones - "bornes", "jalons" - est le nom de de ce qui vient après, mais aussi avec ce que l'on appelait alors, aux États-Unis, the Movement, le Mouvement, l'ensemble des forces luttant contre la guerre du Vietnam, pour la reconnaissance des minorités ethniques et sociales. Pas de mouvements sans Milestones, rien ne bougera sans quelques repères, mais ceux-ci ne sont pas des monuments, ou très peu : ce sont de multiples points humains dispersés sur une carte du possible, que l'écheveau du montage relie par delà les distances réelles et suit au fil du cycle des saisons. On dirait peut-être, maintenant, "film chorale", mais ce serait un bien vilain qualificatif : Kramer parlait lui, d'œuvre ouverte et de film "sphère", une volumétrie de récits éclatés, un agencement tourbillonnant de morceaux saisis dans des profondeurs diverses, suivant l'histoire, la psychologie, les corps ou les matières. Une volonté du multiple au risque du chaos, c'est-à-dire un désir intégralement et généreusement moderne, d'une modernité qui embrasse le projet politique et le projet esthétique dans un même dépassement - répondre à L'Homme unidimensionnel de Marcuse, qui était alors l'un des livres de chevet de Kramer, par ce film multidimensionnel. [...]
Milestones a été écrit de multiples façons, il est passé par l'écriture : des notes accumulées, des fragments de scènes, d'actions, d'images ou de dialogues, puis même un scénario complet dont le montage final du film ne conservera que quelques traces ; David Stone, producteur du film avec sa femme Barbara Stone, se souvient avoir vu une version de plus de six heures, que Kramer et Douglas remanieront entièrement. Le "film sphère" se monte ainsi dès 1971 sur de bouts papiers et par éclats épars, phrases décisives, formules tranchantes qui n'apparaitront pas dans le film, mais en préfigurant les fragments de présences et les moments de vie.[...]
Le film n'est pas seulement, dans l'œuvre de Kramer, l'important moment du passage à la couleur, mais aussi celui d'une complexification nouvelle de la bande son, de séries de rapports nouveaux entre la multiplicité des corps et la multiplicité des voix. Ça n'arrête pas de parler, comme dans les films précédents de Kramer - In the Country, The Edge et Ice. La différence est que la parole circule au-dessus d'images diverse, flotte parfois sans assignation, va plus loin ou moins loin que les personnages. [...]
Cyril Béghin, L'événement Milestones in Cahiers du Cinéma #634, Mai 2008 - p32-33
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