Charles Burnett, l'autre Blaxploitation
Pour les amateurs de hip hop, cette image fera indéniablement penser à la pochette de l'album The Ecstatic (2009) de Mos Def.
En réalité, cette photographie est issue du film "Killer of Sheep" réalisé en 1977 par Charles Burnett.
On résume trop souvent la Blaxpoitation* à Pam Grier, Fred Williamson, Jim Brown pour les années 70 et à Spike Lee pour les années 90. Entre film "pop" seventies et décharge communautariste, il existe une troisième voix : Charles Burnett.
Charles Burnett réalisa en 1978 un film s'adressant directement à la communauté noire tout en apportant un regard rare et somptueux sur le quotidien d'une famille noire américaine. Une tentative (réussie) de montrer des noirs de la "middle-class" ne sombrant pas dans le trafic de drogue, dans la prostitution ou dans tout autres trafic répréhensible par la loi. Pas de misérabilisme, pas de justicier, ni de kung Fu encore moins d'action sur de la musique soul, Killer of Sheep déploie une histoire simple mais profondément touchante, le combat quotidien contre la facilité du crime et pour la dignité humaine.
Pour autant, la musique soul est bien présente et c'est par la "faute" de celle-ci que le film tomba dans l'oubli. Il aura fallu 30 ans pour obtenir les autorisations de certains titres. Une bande originale signée : Louis Armstrong (West End Blues), Dinah Washington (Unforgettable et le superbe This Bitter Earth), Earth, Wind & Fire (Reasons),...
Dans le ghetto afro-américain de Watts, à Los Angeles, un ouvrier fier et mélancolique, épuisé par son emploi dans un abattoir de moutons et par ses responsabilités de père de famille, résiste à la tentation de l'argent facile, sous le regard de sa femme qui n'arrive plus à communiquer avec lui.
Pierce habite dans le quartier de Watts et travaille avec ses parents, propriétaires d'une laverie. Il apprend que le mariage de son frère, avocat, a lieu le même jour que les obsèques de son meilleur ami, tué après sa sortie de prison. Il doit faire un choix.
Réalisé en 1983, ce second film du réalisateur noir américain travaille le même sillon, celui de la banalité du quotidien, des étapes traditionnelles de la vie. Encore une fois Burnett présente ses personnages sous toutes leurs facettes bonnes ou mauvaises mais surtout avec un souci de coller à une certaine réalité, à une certaine vérité.
A l’instar de Killer of Sheep, déclaré « trésor national » par le National Film Registry, My Brother’s Wedding est un tableau réaliste, mais en couleur, cette fois-ci, d’une famille noire dans les quartiers sud de Los Angeles : « Je n’avais jamais vraiment terminé le film, raconte le réalisateur. En Allemagne, je leur ai donné un premier montage un peu brut. Je n’étais pas très content du résultat, car je n’avais pas eu l’argent pour le terminer. Mes acteurs me créaient beaucoup de problèmes. Avec le numérique, j’ai pu moi-même remonter le film, couper les scènes qui ne me plaisaient pas et le nettoyer. »
Ses acteurs, aussi turbulents que les personnages qu’ils incarnent, avaient fait prendre du retard au tournage. Pierce Mundy, interprété par un nerveux et hilare Everett Silas, est un grand dadais de 30 ans qui vit encore chez ses parents, les adorables et toujours amoureux propriétaires d’une laverie sur une des artères de Watts. De temps à autre, Pierce s’occupe de ses grands parents grabataires, mais dès que son meilleur ami, Soldier, sort de prison, il file le chercher à la gare, prêt à refaire avec lui les quatre cents coups : « Ce sont des jeunes gens qui n’ont jamais vraiment grandi, commente Charles Burnett, qui ont subi un lavage de cerveau, qui n’arrivent pas à dire qu’ils méritent mieux que d’être pauvres. Pierce et Soldier ont échoué dans leurs propres projets et fuient la réalité. Ils gaspillent leurs vies. Pierce a un bon cœur mais reste immature, incapable de maîtriser le cours de son existence. Soldier, lui, réagit contre la société, mais c’est un rebelle sans cause. Il est frustré et ne sait pas vers quoi diriger son énergie. Ils ressemblent beaucoup aux jeunes avec qui j’ai grandi. Comme le système est contre nous, en tout cas n’est pas fait pour nous, il faut être fort, et en avoir conscience. »
Pour seule perspective hors de son quartier, Pierce n’a que le prochain mariage de son grand frère avocat avec une jolie chipie de la middle class américaine, qu’il méprise. C’est tout le drame de Pierce, il devra choisir entre le mariage de son frère, les obligations familiales et l’enterrement de son Soldier, qui à force de faire n’importe quoi a fini par en mourir.
« C’est une histoire qui m’est arrivée dans la vraie vie », raconte Charles Burnett, qui a grandi à Watts à un pâté de maison de là où ont débuté les émeutes de 1965. « Mon voisin avait été tué, et, le jour de son enterrement, j’avais déjà promis d’assister au mariage d’une amie. J’ai décidé d’aller à l’enterrement, mais je n’ai pas eu le courage de le dire à la jeune mariée. Alors je me suis dit que je ferai les deux. De ce petit incident, j’ai fait un film. Etre adulte, c’est faire des choix et, évidemment, quelqu’un sera toujours blessé, on ne peut pas contenter tout le monde. »
Ses deux personnages, Pierce et Soldier ne font pas de choix, vivent dans l’instant. My Brother’s Wedding montre déjà les tensions entre le peuple du ghetto et la bourgeoisie noire américaine et, surtout, la chaleur du foyer afro-américain : « Au festival de Saint-Denis, j’étais surpris de mesurer combien le public avait l’air d’apprécier les marques d’affection entre Pierce et son père. C’est normal, il a l’habitude de voir des films hollywoodiens avec des gangs, des mères célibataires. Comme s’il était impossible de filmer ses quartiers sans montrer l’humanité de ces habitants. »
Stéphanie Binet, Libération - 4 mars 2009
Si Charles Burnett a continué sa carrière dans le créneau "Blaxpoitation" moderne (To Sleep With Anger avec Danny Glover [1990] ; Glass Shield avec Ice Cube [1993]) aujourd'hui sa carrière alterne documentaire et téléfilm pour la télévision. Son dernier film ayant connu une certaine visibilité est le segment Devil's Fire qu'il réalisa pour l'anthologie sur le Blues initié par Martin Scorsese.
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*Blaxpoitation, contraction de black et d'exploitation, terme désignant un type de films produits durant les années 70, marketé et désigné pour le public noir, et mettant en scène dans les rôles principaux des acteurs noirs.
Définition extraite de l'ouvrage "Blaxpoitation, 70's Soul Fever" par julien Sévéon [Editions Bazaar&Co]
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