Institut Benjamenta enfin en dvd !
C'était l'arlésienne de Ed distribution mais aujourd'hui l'attente est récompensé par un splendide digipack cartonné qui renferme le film des frères Quay.
Sachez que le dvd est en exclusivité dans les boutiques indépendantes plus d'un mois avant la sortie dans les supermarchés culturels et sur internet.
Pour ceux qui ne connaissent pas encore l'univers magique des frères Quay, voici la présentation de Philippe Serve lors de la diffusion du film en 2007 dans le cadre de son ciné club " Cinéma Sans frontières".
Les frères Quay - de vrais jumeaux, impossibles à identifier l’un de l’autre - creusent depuis près de 30 ans un sillon très particulier. Avant tout créateurs de films d’animation à la personnalité affirmée, ils n’ont réalisé que deux long-métrages, tous deux centrés autour de personnages et d’acteurs "réels". Cet Institut Benjamenta, tourné il y a douze ans, marquait leur début dans le monde du long et précèdait le fascinant Accordeur de tremblements de terre, tourné l’an passé et présenté lors d’une séance CSF en novembre dernier (2006).
Si les deux frères sont américains, toute leur culture, toutes leurs références littéraires, artistiques, musicales et cinématographiques sont presque exclusivement européennes, avec une nette préférence pour l’Europe orientale. N’ont-ils pas déclaré : "Notre pays nous semble terne. En Amérique, il y a tant de choses grossières, prétentieuses et stupides, insulaires. Pour nous, être ici en Europe, est une immense source d’inspiration. D’une manière ou d’une autre, on n’est pas né au bon endroit, mais nous nous sommes toujours tournés vers l’Europe et nous avons trouvé notre inspiration dans ce contexte." Les noms les plus souvent associés au leur (et qu’ils revendiquent d’ailleurs) sont ceux de Kafka, Bergman, Paradjanov, Ghelderode, Bruno Schulz, Dovjenko, Franju, Borowczyk, Tarkovski et surtout le maître de l’animation tchèque Jan Svankmajer, sans oublier un autre Américain européanisé, l’ex-Monty Python Terry Gilliam qui voyait en Institut Benjamenta : "Le film visuellement le plus beau, le plus envoûtant et le plus drôle que j’ai vu ces 300 dernières années !". Peu surprenant qu’on le retrouve ici producteur exécutif des frangins... Il faut bien entendu y rajouter celui de l’écrivain suisse Robert Walser dont ils ont précisément adapté cet Institut Benjamenta.
Autant le dire de suite : l’univers des frères Quay est essentiellement sensoriel. Un bazar des sens où chacun trouvera de quoi étancher sa soif d’expériences visuelles, auditives et quasi-tactiles. Un univers fantastique où les objets sont rois, à condition d’avoir déjà vécus, leur recyclage ou plutôt leur ré-utilisation pour ne pas dire leur résurrection demeurant le passage forcé à ce royaume onirique, toujours à la frange du rêve et du cauchemar. L’amour des détails, des gros plans d’objets faisant vivre chaque nervure reste la marque de Stephen et Timothy Quay dans chacun de leurs courts-métrages d’animation et rejoint le style d’écriture de Robert Walser. Le passage de l’animation au cinéma live et à de vrais acteurs n’entraîna aucune des ruptures que l’on pouvait craindre, la fidélité au (superbe) noir et blanc d’Institut Benjamenta aidant à cette volonté de constance.
L’univers très esthétique des deux frères ne va pas parfois sans s’accompagner d’une certaine impression d’opacité pour le spectateur. Impression seulement si ce dernier veut bien se laisser emporter dans un monde si différent où ce sont bien les sens, et en particulier celui de la poésie, qui indiquent au cerveau ce qu’il doit comprendre.
BIENVENUE À L’INSTITUT BENJAMENTA
"Le passé et le futur tournent autour de nous. Tantôt nous en savons plus. Tantôt nous en savons moins.".
En 1995, Stephen et Timothy Quay réalisaient donc leur premier long-métrage, Institut Benjamenta.
Jakob (Mark Rylance) se rend à l’Institut Benjamenta afin d’y apprendre le métier de domestique. Il y rencontre d’autres apprentis-majordomes ainsi que l’ambiguë Johannes Benjamenta (Gottfried John) qui dirige l’affaire avec sa sœur, la troublante Lisa (Alice Krige).
Adapté comme on l’a vu de Jakob Von Gunten de Robert Walser, le film s’avère un très, très étrange conte de fée. Enrobé d’un humour très spécial, multipliant les gros plans, accompagné d’une musique envoûtante, ce film sur l’apprentissage et la subordination (entre autres) baigne dans une ambiance qui renvoie, avec ses décors oppressants et ses jeux d’ombre et de lumière, tout autant à Kafka qu’au cinéma muet allemand expressionniste des années 20.
Il y a comme une tranquille angoisse latente permanente, sorte de cauchemar plein de poésie. Les pantomimes des apprentis, tout à la fois grotesques et poétiques, rapprochent le film du ballet. Les sons, les dialogues (espacés) sont étouffés, renforçant l’impression onirique.
On reste fasciné devant la beauté des images en noir et blanc et l’étrangeté flirtant avec l’absurdité du récit. Il faut alors, comme indiqué précédemment, se laisser saisir sans chercher à tout comprendre. Alors, tout paraîtra lumineux, évident et l’on ne pourra que souscrire aux propos de Télérama qui décrivait le film comme un "poème magistral" et une "éblouissante féerie visuelle en noir et blanc".
A la page 123 de son roman (c’est à dire à peu près en son milieu), Robert Walser fait dire à Jakob : "Du reste il y a beaucoup, beaucoup d’esclaves, parmi nous autres hommes modernes orgueilleusement prêts à tout. Peut-être sommes-nous tous quelque chose comme des esclaves, dominés par une idée universelle grossière, irritante, toujours en train de brandir son fouet." Ecrit en 1909 par celui que ses contemporains Kafka, Musil, Benjamin ou Thomas Mann admiraient profondément, ces propos résonnent en nous comme d’une profonde actualité - hélas, aurait-on tendance à dire !
En bonus :
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• bande-annonce du film (1min)
• deux courts métrages : "Euridyce She, so Beloved" (11min) et "Songs for Dead Children" (24min)
• documentaire: "Inside the Institute" (31min)
• making-of du film: "On the Set of Institute Benjamenta" (16min)
source : Ed distribution / Cinéma sans frontières
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