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Serbis | Arte Cinéma Trash



Au coeur d'Angeles, aux Philippines, la famille Pineda a élu domicile dans un vieux cinéma qu'elle exploite et qui projette des films érotiques des années 70. Alors que tous les personnages vaquent à leurs occupations quotidiennes, on découvre peu à peu leurs penchants, et les difficultés auxquelles ils se heurtent, qu'elles soient d'ordre relationnel, économique ou sexuel. En prise avec leurs démons intérieurs, tous les membres de cette famille ferment les yeux sur le business qui fleurit au sein même du cinéma : celui de la prostitution.

Ne vous fiez pas à l'affiche du film, passé deux scènes de sexe explicites, le film tend un miroir aux particularités philippines par l'intermédiaire d'une "clientèle haut(e) en couleurs !

Critique des Inrockuptibles
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[...]Brillante Mendoza a la particularité d’être arrivé tard (à 45 ans) à la réalisation après une carrière dans la publicité. Depuis son premier film, Le Masseur (2005), il a enchaîné les films, “sans trop savoir comment”, se faisant surtout remarquer grâce à John John (2007), mélo poignant, élégiaque où la filiation peut être artificielle et sublime à la fois. John John évoquait les derniers moments tendres entre un orphelin et sa nourrice avant qu’il ne parte avec ses riches parents adoptifs. Le temps réel est aussi à l’œuvre dans Serbis, soit une journée dans un cinéma porno philippin tenu par une famille dysfonctionnelle. A sa tête, une matriarche (incarnée par l’actrice Gina Pareño, à l’image de la salle : splendeur fanée mais toujours digne) menant de front un divorce –vital pour ses affaires– et la gestion d’une salle devenue contre son gré un lieu de passes homo comme hétéro. Les acteurs sont d’un naturel confondant, et ceux qu’on suspectait d’être des amateurs se révèlent être des pros, à en croire Brillante Mendoza. Il y a du soap opera dans l’air (la fille s’entichant de son cousin, le neveu pressé au mariage par sa petite amie enceinte, les problèmes d’argent), mais le louvoiement des intrigues s’accorde en fait avec l’architecture du cinéma, personnage à part entière de Serbis, où couloirs et recoins obscurs sont soigneusement arpentés par la caméra de Mendoza comme un labyrinthe où papiers peints et peaux ont la même importance. Comme dans John John, Mendoza sait se faire documentariste – avec l’urgence requise, Serbis fut tourné en seulement douze jours –, il sait aborder de front, mais aussi toucher à une magie secrète des choses. Serbis (à traduire comme “service” au sens sexuel) dévoile ainsi des corps, un furoncle mal placé, des scènes de sexe crues (entre vrais prostitués et clients) tout en donnant la pulsation secrète d’un lieu organique, notamment dans une scène où le cinéaste semble d’abord s’attarder sur une bagarre pour ensuite révéler l’environnement des protagonistes et d’autres événements simultanés – un vol, l’excitation des spectateurs, le va-et-vient des clients qui entrent et sortent. Tout y est possible, pourvu que ce soit vivant, comme l’irruption d’une chèvre au cours d’une séquence surréaliste où la patronne essaie d’inculquer un peu de professionnalisme à ses employés. Le regard de Mendoza sur les déclassés a de la hauteur sans jamais être hautain, et évite heureusement le style favela chic d’un Meirelles (La Cité de Dieu). “Mes films ne sont pas vraiment politiques, mais plutôt au plus près des individus”[...]. Pourtant, Le Masseur, John John et Serbis ont en commun un thème économique (et donc forcément politique) :la marchandisation des corps, qu’il s’agisse de prostitution ou d’adoption (John John). “C’est une donnée propre aux Philippines et au tiers-monde, où il s’agit de survivre chaque jour – et donc inhérente à mon cinéma. Ce sont des préoccupations économiques, alors qu’en Occident elles sont plus psychologiques.” Tout de même, avec ses corps-objets, Mendoza se rapproche d’un cinéaste très occidental : Rainer Werner Fassbinder. Le cinéaste confère aussi une autre dimension au film grâce à un beau travail sonore qui avait fait son effet à Cannes : le cinéma de Serbis est ainsi perméable au soundtrack citadin de klaxons, motos et sirènes (comme dans toute ville du tiers-monde), qui s’insinue dans la vie de famille, déjà troublée par les gémissements des pornos projetés. Le son affirme aussi le côté maternel du film par un renversement opéré : ce cinéma était d’abord un ventre un peu honteux qu’on croyait échographié, vie publique et vie privée se confondant, décloisonnées. Et on se retrouve vite comme un bébé émerveillé, caché, attentif et craintif quant aux bruits extérieurs. Avec l’idée folle de ne pas vouloir en sortir, pour nous comme pour les personnages, de ne pas partir. Comme John John. Arrêter le voyeurisme au bord des profondeurs et de leur magie, telle est bien la subtilité de Serbis.

Léo Soesanto

critique de Chronic'art
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Serbis crache l'urgence par tous ses pores. Shooté en une vingtaine de jours par Brillante Mendoza (John John), cette plongée dans les entrailles d'un cinéma porno philippin bouillonne de pulsions, de crasse et de sexe jusqu'à déborder. De son précédent film, le cinéaste n'a gardé que photo cramée et vérisme sauvage, le reste a été sacrifié sur l'autel du mouvement. Au centre du magma trône le fameux cinoche. Un bordel insalubre digne des trompe-l'oeil d'Escher, où les volées d'escaliers se grimpent dessus, où l'espace s'entortille tel un nœud gordien. En fait, c'est tout Serbis qui carbure au chaos et à l'inversion, comme s'il répondait au troublant métissage philippin (écoutez leur langue, regardez leurs traits). Jusqu'à ce titre - serbis / service - qui désigne le joli paradoxe de la prostitution locale : ici, c'est celui qui suce qui paie.

Dans un indescriptible foutoir, homos, hétéros et travelos se mélangent dès lors au point de ne plus se distinguer. C'est le retour du corps en tant que véhicule, délesté de tout jugement ou considérations, moins pris pour ce qu'il est que pour ce qu'il fait. Ici tout n'est qu'action, expulsion, éjaculation, miction, comme s'il fallait nettoyer, assainir avant tout. Dans Serbis, on balaie les chiottes comme on se branle ou perce un furoncle : c'est une même manière de vider le trop-plein, d'appuyer sur reset pour purger le système. En vain. Le film entier obéit à ce principe incendiaire, flirte avec les points de suture et les digues prêtes à péter. Documentaire, fiction, fantastique, quotidien s'écrasent les uns sur les autres dans une frénésie croissante, portés par une caméra sur la brèche et un souci de vitesse permanent. Jusqu'au dernier plan où tout se consume. Un geste radical que les gardiens du temple taxeront sans doute de plagiat, hermétiques hélas à sa belle évidence : cette image n'est que l'issue logique d'un film en surrégime, l'embrasement d'un feu qui couvait.


Julien Abadie

> mercredi 15 décembre à 3h00

le film est disponible en dvd à la boutique

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