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La Route de Salina

Disparu en novembre 2013, Georges Lautner, réalisateur français ayant marqué le cinéma hexagonal d’œuvres devenues incontournables (Les Tontons Flingueurs, Le Pacha, Le Professionnel) n'est pas seulement l'auteur d'un cinéma populaire mais aussi l'homme qui signa au même titre qu'un Barbet Schroeder avec More (1969), un film culte, La Route de Salina. Lautner tourne son chef d’œuvre. Invisible ou presque depuis sa sortie, ce film est une rareté qui ressort de temps à autre durant des festivals ou des hommages comme celui que la Cinémathèque de Nice rend au réalisateur de La Valise.

Sur la Route de Salina, Jonas, un jeune hippie, s'arrête dans une maison isolée où une mère, Mara, et sa fille, Billie, reconnaissent immédiatement en lui leur fils et frère Rocky, disparu quatre ans auparavant. Mais dès que Jonas n'accepte plus d'être Rocky pour la belle Billie dont il est tombé amoureux, la situation se dégrade...

"En 1968, j'étais à Rome. Je travaillais sur une coproduction franco-italienne, Michelle Strogoff. Un grand film en costume. nous sommes allés deux fois en repérage en Yougoslavie. En été, les plaines étaient poussière, en octobre, c'était de la boue. nous avons écrit deux versions, une pour l'hiver, une pour l’été ; nous avons commencé le casting. et le film ne s'est pas fait. j'ai perdu beaucoup de temps dans cette affaire. Depuis Le Pacha, en 1967, je n'avais pas fait de film.
De retour à Paris, je commence l'adaptation d'un polar, La mort a mis les gants. je travaille avec son auteur Christophe Izard, et nous nous entendons très bien. Mais, l'a non plus, rien n'aboutit.
Finalement , mon producteur, Robert Dorfmann, me met entre les mains le roman de Maurice Cury, La route de Salina.
Le scénario a été écrit quatre fois. J'ai d'abord travaillé avec une espèce de hippie anglais, habillé comme un moine, ne pensant qu'a bouffer, et qui se prenait très au sérieux. Il me faisait un peu peur. On n'a pas garder grand chose. J'ai aussi travaillé avec Pascal Jardin, que j'aimais beaucoup. Mais nous ne sommes pas entendus, nous n'étions pas sur la même longueur d'onde. Il voyait une histoire de cul. En définitive, il y avait le livre de Maurice Cury. Je lui suis resté fidèle.
C'était un roman qui se déroulait en Amérique. Il fallait que se soit un film américain. Avec un casting américain et tourné en anglais. Et me voila parti avec Yvon Guezel, le coproducteur, pour Los Angeles. C'était la première fois que j'allais à Hollywood, mais ce voyage aux États-Unis marque surtout la première rencontre avec Rita Hayworth. Elle paraissait seul dans la grande maison qu'elle avait loué à Glen Ford. Elle avait l'air un peu inquiet, guettant sans cesse le téléphone. Mais je crois celui a fait plaisir de voir des gens qui l'admiraient lui proposer un rôle.
Nous sommes allés reconstituer Salina aux Canaries à Lanzarote. Nous y avons dégotté une vieille bicoque en ruine, exactement le décor que je cherchais. Nous avons retapé entièrement la baraque, installé deux pompes a essence devant, et c'est devenu la station service tenu par Rita et sa fille.
 Nous avons atterri à Lanzarote un jour de septembre 1969 dans un avion charter rempli de matériel. Nous y sommes resté trois mois, a des années lumières du reste du monde. C'était l'époque "love and peace". Durant trois mois, nous avons fait l’expérience de la vie communautaire en pleine nature, sauvage et sublime.
Le tournage se faisait en anglais. Je parlais un anglais de cuisine. Mais, une fois que tu oses, tu parles, tu oublies ta gêne et tout le monde te comprend. Face à Rita hayworth, Mimsy Farmer, lumineuse, jouait le rôle de sa fille. Pour interpréter le rôle de son faux frère, j'avais choisit Bob Walker Junior, le fils de Robert Walker et de Jennifer Jones. Il y avait aussi Bruce Pecheur en hippie et un vieil  acteur américain que j'aime beaucoup, Ed Beugley. Marc Porel était le seul français de la distribution.
Et Rita Hayworth, au milieu de tous ces hippies...

Tout l'équipe a eu une histoire d'amour collective avec Rita. Elle venait de jouer un petit rôle dans un film en Italie. Elle s'était fait maltraité par cette équipe. Il lui disait : " hey, là-bas, au fond, à vous !". Et la, elle arrivait sur une équipe franchouillarde, un peu bébête, en vénération devant elle. Il y a eu beaucoup de joie entre nous. Mais parfois, elle semblait un peu perdue. Elle ne vivait pas avec nous, elle vivait dans sa chambre, avec une amie, ou elle jouait de la guitare. Le jour de son anniversaire, j'ai fait venir l'orphéon du village. A la fin d'une scène j'ai dit "coupé" et l'orphéon s'est mis çà jouer happy birthday... nous avons passé toute la soirée à danser ensemble ! Quand nous l'avons accompagné à son avion, tout le monde pleurait sur le tarmac... elle surtout.
Pour La Route de Salina, j'ai tourné des scènes de nue comme on en tournait peu a l'époque. Je l'ai fait parce que les acteurs étaient beaux, le cadre était beau, et puis le climat sur le film etait propice ! love and peace ! Il faut avouer que nous ne fumions pas que des Gitanes [...]
Le soir, en rentrant au cantonnement, en traversant ces paysages extraordinaires, il y avait toujours un pour dire : "Regardez de tous vos yeux. Vous ne verrez plus jamais ça de votre vie." Et c'était vrai...
J'ai confié la musique aux musiciens du groupe Clinic, une bande de mômes de dix neuf ans. Par la suite, son leader, Alan Reeves est devenu un compositeur réputé outre atlantique. On peut aussi entendre une chanson en anglais de Christophe. La musique était très importante, elle faisait partie de l’époque. On était bercé par les Beatles, Leornard Cohen, les Roling Stones, les Noody Blues....
Le film n'a pas eu de succès. D'abord, il est sortie le jour de la mort de Gaulle ! Mais le vrai problème était une erreur de production dont on était responsable. La Route de Salina était un film americain pour les français et français pour les américains. Il n'était ni américain, ni français. Hybride. [...] J'étais très déçu.
[...] La bande de hippies a eu un destin bizarre. Le conducteur de la voiture, Bruce Pecheur a été poignardé à New-York dans son appartement par un junkie en manque. Bob Walker, je l'adorais. On ne s'est jamais revu, ni écrit. Je l'ai vu dans des séries télé. Je suppose qu'il s'en sort pas mal, mais il s'en sort en ayant trahi ses rêves.[...] Marc Porel est mort très jeune..."
Georges Lautner in On aura tout vu
> Mardi 21 janvier à 20h00
> Samedi 25 janvier à 16h00

1 commentaire:

Vincent Chabot a dit…

Merci pour cette petite interview.
Je viens de tomber amoureux du film que j'ignorais totalement jusqu'à aujourd'hui. Je l'ai trouvé par le biais de la musique avec sa seconde réutilisation dans "Laissez bronzer les cadavres".
On ne trouve pas beaucoup d'information dessus alors là, pouvoir lire un Lautner qui parle d'une actrice actrice en fin de carrière qui pleure d'émotion, de hippies et de fumer autres choses que des gitanes dans des paysages paradisiaques, ça me fait rêver.
Le film est par-ci par là décrié pour ses quelques inégalités dans sa facture. C'est peut-être vrai mais je l'ai tout de même trouvé profondément touchant. Pas étonné que Tarantino l'adore.

Vincent Chabot