Le Journal de David Holzman - Jim McBride
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Pour mieux comprendre sa vie et puisque selon Godard « le cinéma c’est 24 fois la vérité par seconde », David Holzman, apprenti cinéaste dans le New-York des années 60 commence son journal filmé. Revoir le film de sa vie lui permettra peut-être d’en saisir le sens. Mais David Holzman va vite comprendre que l’omniprésence de la caméra dans son quotidien n’est pas sans influence sur le cour de son existence…
Tourné en 1967, Le Journal de David Holzman fait date dans l’histoire du cinéma. Le geste assez est assez important pour faire entrer le film au Registre national du film de la Librairie du Congrès, liste de d’œuvres clés du 7ème art. Précurseur du genre « documenteur », les premiers spectateurs y distinguent mal ce qui relève du documentaire et de la fiction. Passerelle entre les genres, réflexion sur l’altération du réel par l’acte de filmer, Jim McBride livre un film à la fois réflexif et léger, sensuel et cérébral. Quarante ans après sa réalisation, le film ne cesse d’être étudié et redécouvert. Il s’agit d’un des premiers (le premier ?) films de fiction qui cherche pleinement à se faire passer pour un documentaire en égrainant tous les indices du genre. Si le procédé du « faux documentaire » nous paraît aujourd’hui commun et a participé à la singularité ou au succès de films aussi divers que L’Ambassade (Chris Marker), Punishment Park (Peter Watkins), F for Fake (Orson Welles), C’est arrivé près de chez vous (Rémy Belvaux, André Bonzel & Benoît Poelvoorde), Le Projet Blair Witch (Daniel Myrick & Eduardo Sánchez) ou dernièrement Faites le mur ! (Banksy), Le Journal de David Holzman reste précurseur du genre et l’un des plus subtile, parce que l’artifice se double toujours d’une réflexion sur le cinéma. A l’apogée du cinéma direct, Jim McBride avait voulu en réaliser un exercice critique, montrer que le documentaire restait une affaire de mise en scène et de point de vue, en somme qu’il fallait toujours se méfier de "ce qui fait vrai", de l’apparente objectivité du caractère enregistreur de la caméra. Ironiquement, le David Holzman du film affirme, en hommage à Godard, que « le cinéma c’est la vérité 24 fois par seconde »… ce qu’en fait le film met un soin pervers à démentir. La grande force du film est aussi de réfléchir sur la dimension voyeuriste du cinéma, sur ce qu’il se passe lorsqu’on filme l’intime.
Dans L’Epreuve du réel à l’écran (De Boeck), François Niney rappelle à ce titre que le film de McBride démontre « que pour être autre chose que du voyeurisme et de l’exhibitionnisme, le cinéma-vérité ou le cinéma direct exigeant soit la mise en scène d’un véritable dispositif d’échange entre filmer et filmés, (comme chez Rouch), soit la construction d’un espace objectif où puissent évoluer, se parler et se faire entendre les protagonistes, comme chez Wiseman […] Car la caméra subjective monomane ne laisse d’autre échappatoire aux filmés que d’être ses proies plus ou moins consentantes ou bien de l’éconduire. »
Jim McBride est né en 1941 à New-York où il fait également ses études de cinéma après un passage par Sao Paulo. Il côtoie assidûment dans les années 60 la Filmaker’s Cinematheque de Jonas Mekas où il voit les films de Stan Brakhage, Andy Warhol et de Shirley Clarke. Il se familiarise aussi avec le cinéma direct en plein essor, les films de Pennebaker et des frères Maysles en particulier. On retrouve bien entendu dans Le Journal de David Holzman (1967), son premier film, des traces de cet apprentissage avant-gardiste et documentaire. Le film est co-écrit avec Kit Carson qui interprète aussi le rôle-titre. Trouvant le film trop court, le producteur demande à Jim McBride de le coupler avec un court métrage. Jim McBride a ainsi l’idée de My Girlfriend’s Wedding où il interroge sa petite amie, Clarissa, au moment où celle-ci doit se marier, afin de pouvoir rester aux Etats-Unis, avec un militant pour la paix au Viêt-Nam. Le film durera finalement 1h. En circulant dans les plus grands festivals, les deux films acquièrent rapidement un statut culte tout en étant largement invisibles pour le grand public.
S’en suit pourtant une période trouble où Jim McBride peine à faire aboutir ses films, dont un projet de western à la structure ambitieuse produit par Bob Rafelson (Five Easy Pieces) et qui devait un temps être repris par Dennis Hopper. Il réalise tout de même Hot Times (1974) dont le slogan mercantile était « American Graffiti mais avec du sexe. ». Sont aussi réalisés, en 1971, Pictures From Life’s Other Side (qui clôt la trilogie « du journal filmé » entamée avec David Holzman) et Glen and Randa (1971), film de science-fiction intimiste, post apocalyptique.
Jim McBride attendra dix ans avant de faire aboutir un nouveau projet, le remake américain d’A Bout de Souffle de Jean-Luc Godard. Breathless – Made in USA avec Valérie Kaprisky et Richar Gere est produit à hollywood. Jim McBride côtoie d’ailleurs brièvement Godard à la fin des années 70 quand ce dernier envisage de réaliser son film américain produit par Coppola. Jim McBride réalise par la suite essentiellement des films pour la télévision. Il réalise notamment en 2001 un épisode de la série Six Feet Under. Il continue tout de même à réaliser des films de cinéma dont The Big Easy, polar avec Dennis Quaid et Great Ball of Fires, biopic de Jerry Lee Lewis qui rencontrent un certain succès.
En 2007, Jim McBride fait une courte apparition dans Les Plages d’Agnès d’Agnès Varda, son amie de longue date.
Bonus
> My Girlfriend’s Wedding (1969) - 61 min - VOSTF
> My Son’s Wedding to my Sister-in-Law : un post-scriptum inédit de Jim McBride (2008) - 9 min
> Analyse par François Niney (20 min)
> Livret (32 pages) : Interview & texte par Jonathan Rosenbaum, David Holzman vu par Julia Rolland (carnet d’illustrations)
Syndromes and a Century - Apichatpong Weerasethakul
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En Thaïlande, dans un hôpital de campagne, le Docteur Toey, une jeune médecin, ne répond pas aux timides avances d'un collègue. Pour le réconforter, elle lui raconte son propre amour déçu pour un fleuriste, spécialiste des orchidées. En Thaïlande, dans un hôpital sophistiqué et urbain, Toey est confrontée aux avances du même collègue amoureux. L’histoire et le film semblent se répéter et pourtant…
Avec sa césure centrale, Syndromes and a Century rejoint les deux précédents films du réalisateur, Blissfully Yours et Tropical Malady, pour former une trilogie de films-diptyques. Syndromes and a Century est un film où les sentiments ne cessent de circuler, insaisissables et flottants à l’image de ses personnages. Un monde où passé et présent s’entrelacent, où les patients y soignent leur médecin, où les moines se rêvent DJ, les dentistes en crooners, et où une chanson pop se mue en prélude pour guitare : "Apichatpong Weerasethakul, Ovide du 21ème siècle" comme le décrit Dominique Païni.
Bonus
2 Courts-métrages
> Luminous People (2007) - 15 min
Ce film fait écho de plusieurs façons à Syndromes and a Century. Tourné en super-8, Luminous People est lui aussi un film de célébration des ancêtres et de leur réminiscence. On y retrouve condensé en quelques minutes ce goût du "primitif" mêlé à une modernité de forme. Un groupe de personnes descend le Mékong en bateau, longeant la frontière entre la Thaïlande et le Laos. Ils naviguent contre le vent, préparant une cérémonie funéraire…
> Diseases and a Hundred Year Period de S. Chidgasornpongse (2008)- 20 min
Diseases and a Hundred Year Period est un ciné-tract qui nous vient de Thaïlande. Il est réalisé par Sompot Chidgasornpongse, assistant de Weerasethakul sur plusieurs de ses films (dont Syndromes and a Century), en réaction à la censure de Syndromes and a Century en Thaïlande.
> Introduction (5 min)
> Livret 24 pages : analyse inédite du film par Antony Fiant, entretien avec Tony Rayns
Images du monde et inscription de la guerre / En sursis - Harun Farocki
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"Il faut être aussi méfiant envers les images qu’envers les mots. Images et mots sont tissés dans des discours, des réseaux de significations. Ma voie, c’est d’aller à la recherche d’un sens enseveli, de déblayer les décombres qui obstruent les images."Harun Farocki
Dans Images du monde et inscription de la guerre et En sursis, Harun Farocki s’arrête sur deux corpus d’images de la Shoah et nous les rend lisibles grâce à deux stratégies de reprise. Un dialogue entre deux films s’instaure à vingt ans d’intervalle et s’y dessinent deux réponses formelles à la question de la place du savoir visuel dans notre connaissance de l’Histoire. « A partir de dispositifs différents, les deux films de Harun Farocki invitent à cette traversée du visible » écrit Sylvie Lindeperg.
Images du monde et inscription de la guerre, film-phare de Harun Farocki, est un essai dont le motif central est la photographie aérienne du 4 avril 1944 du camp d’Auschwitz prise par un avion de reconnaissance américain. Sur cette photographie, les analystes identifièrent les usines environnantes mais pas le camp d’extermination. Montage dialectique et commentaire distancié composent ce brillant essai documentaire qui analyse les conditions de lisibilité des images, du "voir" et du "savoir", entrelace polysémie des mots et des photographies.
En sursis exhume des rushs d’un film inachevé tourné dans le camp de Westerbork (Pays-Bas) en 1944 par un prisonnier juif. A l’opposé des transformations télévisuelles de l’archive, le film puise les traces infimes laissées par l’image et convoque leur hors-champ pour atteindre ce « sens enseveli » et rendre notre savoir « plus précis, plus incarné, plus tranchant » comme l’évoque Georges Didi-Huberman.
Bonus
> Images du monde et inscription de la guerre / Bilder der Welt und Inschrift des Krieges / Images of the World and the Inscription of War : 75 min, 1988
> En sursis / Aufschub / Respite : 40 min, 2007, muet
> Entretien croisé avec Christa Blümlinger et Sylvie Lindeperg ( 60 min)
> Livret 52 pages : textes de Harun Farocki, Christa Blümlinger et Sylvie Lindeperg
Voilà, vous savez tout (ou presque ) sur les trois premiers dvds de Survivance. Trois films qui témoignent des orientations et des préoccupations du label, entre modernité et passé, entre fiction et documentaire, Survivance sera (et nous l’espérons) un acteur important pour les cinéphiles et les téméraires.
source : Survivance
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