Pour autant, estimons nous chanceux (même si tout est perfectible) car avec des coffrets Koji Wakamatsu, Seijun Suzuki et autres Shohei Imamura, la France reste l'une des terres les plus accueillantes pour le cinéma japonais.
Espérons qu'un jour, un éditeur se penche sur la carrière cinématographique de Toshio Matsumoto, auteur du remarquable Funeral Parade of Rose en 1969 et dont voici un des rares articles en français. Ironie de l'histoire celui-ci provient non pas d'une revue sur le cinéma mais sur la photographie.
Depuis quelque temps, alors que le cinéma commercial reste dans une situation stagnante, on voit naître dans le domaine du cinéma expérimental des tentatives pleines d'intérêt, apportent des idées stimulantes, une imagination sans bornes, une personnalité originale et des recherches techniques. Les occasions de voir ces films sont assez rares pour les cinéphiles A Tokyo, à part les représentations régulières de l'Underground Cinémathèque qui restent limitées aux cinéphiles avertis, il n' y a guère qu'une ou deux programmations par mois, organisées ponctuellement par des groupes divers. Seulement une ou deux fois par an, est organisée une projection "ouverte" de ce genre de films.
C'est pourquoi la présentation qui s'est tenue à Tokyo pendant deux semaines à l'automne 1976, présentait un caractère exceptionnel vu qu'y a été montré un panorama des films expérimentaux les plus importants - et de leurs auteurs - depuis 1970.
En regardant ces soixante-treize films, à raison de deux réalisateurs par soirée, je ne pouvais m'empêcher de constater que le cinéma japonais d'avant-garde est arrivé à constituer, par la qualité et la quantité, "un autre royaume du cinéma".
Quant à moi, ce qui me pousse à faire du cinéma expérimental, c'est, dans la plupart des cas, mon attirance vers les éléments étranges, irrationnels, mystérieux et magiques. Je voudrais exposer ici ma méthode de travail, en prenant pour exemple mon film Atman, crée en 1975.
Atman signifie dans la philosophie hindoue le "soi" non cartésien qui s'identifie avec le Brahmane ou origine de l'univers absolu.
La première image que j'ai conçue de ce film est celle d'une nature s'étendant à l'infini dans laquelle la caméra tourne autour de moi. Pour pousser cette image jusqu'à l'extrême limite - afin de démontrer la décomposition du "moi" qui est supposé être le centre de tout ça - mon plan de tournage est devenu quelque chose à proprement parler d'"affolant". Le champ circulaire du mouvement est composé de dix cercles concentriques réguliers que j'ai divisés en quarante-huit rayons. Les quatre cent quatre-vingts points ainsi obtenus signifient "les positions décomposées du matériel de tournage" qui vont servir à reconstruire le mouvement de la caméra dans la deuxième tournage, plan par plan.
En regardant le graphique (voir le plan 1), d'autres idées importantes me sont apparues. Le "moi" au centre des cercles devient d'abord très abstrait et flou, mais soudain se transforme en une image de "hannya".
Le centre du champ qui devrait exprimer le conflit intérieur du "moi" est représenté par le hannya. Cette image m'attirait par le fait qu'elle est en même temps le symbole de l'amour propre et de la sagesse. Dans cette dualité contradictoire, je vois une signification profonde. Ma deuxième idée a été d'utiliser de la pellicule à infrarouge, ce qui n'avait jamais été fait au Japon. J'ai donc dû répéter les essais de filtres et le développement. J'ai utilisé exprès des filtres verts et bleus déconseillés sur le mode de l'emploi Kodak : c'était pour rendre le film plus étrangement fantasmagorique.
La projection d'Atman m'a soudain rappelé mon premier film, Poème de la pierre (1963). J'y ai retrouvé les mêmes tentatives. Je m'étais inspiré de deux idées : prendre comme matière première la pierre et composer ce film uniquement avec des photos. Je voulais faire refléter, par la pierre et la photo, l'image de la mort et y faire revivre la vie. Depuis ma première œuvre, il me semble que je m'obstine à m'imposer des conditions draconiennes et une matière qui permet de pousser l'imaginaire jusqu'à ses limites extrêmes. Partant d'une simple dispositive représentant une cuvette de WC - et en m'y limitant - j'ai voulu montrer dans Metstasis la naissance et la disparition d'un être vivant. Dans Autonomy, par le rythme des vagues déferlantes, j'ai voulu méditer sur le battement profond de l'univers ; de même pour d'autres de mes films, comme Mona Lisa, Fly, Shikisoku.
Toshio Matsumoto in Zoom #45 (1977) p.6
ATMAN / 1975 / 11 minutes
MONA LISA / 1973 / 3 minutes
SIKI SOKU ZE KU / 1975 / 7 minutes
Le film Les Funérailles des Roses est en vente sur theendstore.com
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