Ce paragraphe de Max Tessier extrait de Cinema d'Aujourd'hui, Le cinéma Japonais 1956-1979 publié au début des années 80 est la dernière trace journalistique que l'on trouve sur le réalisateur japonais."Pour ces cinéastes qui se désignent eux-mêmes comme "l'avant-garde" du nouveau cinéma japonais indépendant, les audaces de langage se limitent souvent à des expérimentations techniques (longue focale, caméra à la main, flou artistique, ralentis, arrêt sur l'image, etc.) qui doivent plus aux opérateurs qu'aux metteurs en scène, et dont le systématisme est vite fastidieux, parce que très superficiel, sans " méthode esthétique' comme chez Terayama, Yoshida ou Matsumoto, par exemple. Il existe pourtant au Japon des indépendants "absolus" (c'est-à-dire sans producteurs ni distributeur), qui poursuivent des directions très personnelles sans tomber dans ces pièges toujours renouvelés du formalisme photographique.Le plus original est sans doute Katsu Kanai (1936), qui connait le prix de cette indépendance, puisqu'il a dû interrompre sa production après trois films tournés de 1969 à 1973, Mujin Retto (L'Archipel désert, 1969) est un film complètement surréaliste, où Kanai donne libre cours à sa fantaisie grotesque, où il crée un univers fantastique à partir d'éléments très concrets de la vie japonais [...] Le "héros" échappé d'un couvent de religieuses en folie, donne lui-même naissance à un fils qui a poussé dans son dos, et qu'il porte ainsi jusqu'à l'adolescence [...]. Dans ce poème visuel étrange et fascinant, Katsu Kanai évoque certes Arrabal ou certains espagnols, mais avec un sens formel plus typiquement japonais, et des idées qui ne sont qu'à lui, cruelles et absurdes. Après Good-bye (1972) évocation symbolique des relations entre Japonais et Coréens, dans un arsenal fantastique hérité des "manga" (bandes dessinées), Kanai s'est affirmé comme un maître de l'insolite poétique avec Okoku (Le Royaume, 1973), où l'intrusion de la couleur lui permet de compléter son univers, autour d'un personnage éminemment "pervers" d'ornithologue (rôle tenu par Atsushi Yamatoya, un des condisciples de Wakamatsu), qui n'a de cesse de vaincre le roi Chronos : pour pénétrer dans son royaume (filmé aux Galapagos, pendant que Kanai tournait un documentaire...), il passera par l'anus d'un canard, passant du microcosme au macrocosme, en défiant Chronos. Le Royaume est un des voyages les plus étranges et excitants que le cinéma, japonais ou autre, nous ait permis de faire. Le cinéma de Kanai, par nature même, ne se prête pas à l'analyse mais à une adhésion (où a un rejet) totalement subjectif."
Pourtant l'auteur a bénéficié de rétrospective au début des années 2000 en Allemagne. C'est grâce au LUFF que l'auteur de ces lignes a eu la chance de rencontrer le cinéaste en août dernier pour une après-midi exceptionnelle.
Filmé, cette rencontre doit être traduite et sous-titrée... du moins lorsque l'on aura trouvé quelqu'un pour traduire les quarante minutes. Avis aux bénévoles !
Au-delà de ce moment passionnant dont nous sérions très heureux de partager avec vous via notre partenaire 1kult.com, nous avons pu ramener dans nos bagages quelques exemplaires du coffret dvd édité par le metteur en scène en totale indépendance.
Présentation du Lausanne Underground Film Festival :
THE DESERTED ARCHIPELAGO / 1969Sous la fragile écorce du cinéma indépendant japonais se dissimulent quelques artistes mystérieux, rares et fascinants, ombragés par de nobles leaders nommés Koji Wakamatsu, Shuji Terayama, ou par l’entité Art Theatre Guild (groupement de cinéastes liés à la distribution et production d’œuvres rejetées par les gros studios et surnommé Nouvelle Vague Japonaise). Katsu Kanai est de ceux-ci. Cinéaste rebelle et visionnaire, il est considéré comme « l’empereur du cinéma underground » dans son pays natal. Bien que ses premiers films aient connu l’honneur des festivals internationaux en leur temps, Kanai a disparu des radars des cinéphiles au point de ne figurer dans quasiment aucune littérature. La redécouverte de l’œuvre de ce fils de paysans n’en est que plus précieuse, et son parcours exemplaire ; caméraman pour le studio Daei en 1960, il est formé par les chefs opérateurs Takahashi Michio (« Hiroshima mon amour ») et Kobayashi Setsuo (« La bête aveugle ») avant d’œuvrer en freelance dès 1964. En 1968, il fonde Kanai Katsumaru Production et travaille d’arrache-pied à la production, réalisation et distribution du premier volet de sa trilogie « Smiling Milky Way ». (JB)
« Le jour où la guerre se termina, […] la réalité que je connaissais se renversa, et je fus marqué par le fait que je ne pourrais plus jamais croire en quoi que ce soit. Je partis alors à la recherche d’une forme de salut spirituel que j’ai finalement trouvé dans l’existentialisme d’Albert Camus. Dès lors, je fus capable de construire mon propre existentialisme, et ce film doit être vu comme la base de ‹ L’existentialisme de Katsu Kanai. » On y suit le passage à l’âge adulte d’un ado manipulé par des nonnes. En filigrane, c’est de sa propre expérience et du Japon d’après-guerre que parle le réalisateur, tout en y ajoutant une bonne dose de fantasme. Il en résulte un objet multi-facettes, purement surréaliste. Prix du meilleur film à la deuxième édition de ce qui allait devenir le festival Visions du réel. (JB)
GOOD-BYE / 1971
Un idiot du village, être solitaire sans attache réelle, rencontre une femme sur la plage. Ce qui s’apparente à une rencontre chaleureuse et accueillante se mue en rapport conflictuel et incestueux. Ainsi s’ouvre une critique acerbe sur le Japon et ses origines coréennes si souvent vilipendées. Sur la trace de ses racines (le nom de Kanai rappelle les travaux métallurgiques propres aux immigrés coréens ; sa région d’origine s’appelait autrefois Koguryo, du nom d’un ancien royaume coréen), le réalisateur finit par se mettre en scène et plonge dans une Corée vivant à l’heure de la loi martiale, questionnant ainsi le regard qu’il porte sur ses origines, de même que le regard du spectateur sur ses doutes, jusqu’à une conclusion sans équivoque. (JB)
THE KINGDOM / 1973
Pour Katsu Kanai, « The Deserted Archipelago » reflète son vécu et ses fantasmes dans le Japon d’après-guerre, tandis que « Good-bye » se rattache plus à la terre qu’au sang. Pour clore sa trilogie, il lui restait à s’attaquer à une dimension supérieure: le divin ! Et selon lui, qu’on le veuille ou non, que l’on soit croyant ou non, s’il y a une divinité dont on ne peut nier l’existence, c’est le dieu du temps ! « The Kingdom » est son pied de nez à cette divinité. Ce sont les mots de Nagisa Oshima qui ont encouragé Katsu Kanai à s’attaquer à ce singulier long métrage: « Je ne qualifierai de cinéma que ce qui est fondé sur une histoire totalement neuve et une méthodologie totalement neuve ». Porté par ce leitmotiv, Kanai met en scène les aventures de Goku, un poète réalisant malgré lui qu’il n’est ce qu’il est qu’à temps partiel. C’est au travers de la rencontre de personnages décalés, tels que des pick-pockets du temps ou un docteur pour oiseau, qu’il tente de devenir poète à plein temps… et que Kanai gagne en légèreté comme en absurdité. (JB)
THE STORMY TIMES / 1991
Katsu Kanai fut grandement marqué par la perte de son ami Jonouchi Motoharu, réalisateur expérimental et acteur de « The Kingdom », fauché par une voiture. Jonouchi était apparu dans son court métrage « Dream Running » (1987): un film « Tanka » (poésie Japanesee classique) en costume remarqué, de l’Australie aux États-Unis en passant par l’Europe. Le décès de son ami lui inspira « Grasshopper’s One-Game Match » (1988) un film Haiku (court poème caractérisé par la juxtaposition de deux idées) se résumant à une bobine de Bolex imprimant l’image de son propre appartement à la recherche de ces instants d’amitié évanouis. En 1989, il mit en boîte « We Can Hear Joe’s Poem » (1989), un film poétique, au sens occidental du terme, où ses hallucinations l’entraînent de sa chambre à son jardin, sur les paroles du poème « Shinjuku Station », écrit par Jonouchi lui-même. Ces trois films réalisés indépendamment, et tous présentés au Image Forum Festival de Tokyo, forment ensemble « The Stormy Times », un hommage touchant à Jonouchi Motoharu. (JB)
HOLY THEATRE / 1993
SUPER DOCUMENTARY : THE AVANT GARDE SENJUTSU / 2003« Il est dit que l’on meurt deux fois. La première mort est la mort physique, la seconde survient lorsqu’il n’y a plus personne pour se souvenir de nous. » Lorsque Katsu Kanai entame cette vidéo tournée dans un jardin situé derrière sa maison, quatre de ses acteurs de « The Kingdom » avaient déjà rendu l’âme. Quatre amis chers à qui il rend hommage dans un film dont le premier acte n’est autre que la contemplation d’un univers bucolique, avant de bifurquer vers ses si chers amis. (JB)
Conscient de son grand âge, Katsu Kanai –devenu entre-temps producteur télé– laisse place à son alter-ego Katsumaru, un magicien (Senjutsu) bien décidé à en montrer à une jeunesse ayant tendance à oublier les bienfaits de la nature au profit de l’ère technologique. Tournant en pur amateur dans son jardin, Kanai s’amuse à réaliser de petits miracles « naïfs » qui sont autant d’instants humoristiques. (JB)
Coffret 5 dvd en vente sur theendstore.com
source : LUFF
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