Dans le cadre de l'exposition d'Antoine Agata, Anticorps, Philippe Azoury a sélectionné une série de films expérimentaux et documentaires.
Présentation :
Le cinéma coule autrement qu’une photographie. Il est né sous une autre durée. Le temps du film est à la fois toujours trop étiré si on le compare à l’éblouissement cruel de l’instant, et plus serré, plus accéléré qu’une nuit blanche. C’est son avancée, et aussi son embarras. Le cinéma sait bien qu’il est tout autant capable de flash que de désillusions. Aussi l’idée d’associer, comme on dit, la chèvre et le chou : nous avons monté ces quatre programmations avec l’envie de mêler les coups de force esthétiques (la beauté rare de certains Dwoskin, Wojnarowicz, Iimura…) à des films partis en quête d’une parole (de Rithy Panh à Guy Debord). N’y voir aucune tentative morale d’expliquer, de racheter ou de laver les images de d’Agata. Mais bel et bien d’observer sur une durée de deux heures comment, en échos aux images de d’Agata, et dans le prolongement des sensations et des idées que ses images charrient, des films auront la douleur et le plaisir comme seul choix possible, et comment, en cela, ils vont dévisager le monde, faire l’expérience de l’obscurité et de la résistance. Pour public averti, lisait-on autrefois à l’enseigne des salles obscures. Parions qu’au sortir de ces quatre soirées, avertis comme jamais, vous en vaudrez deux, trois, ou mille.
Philippe Azoury
------------------------------------------------------------------
Dirty, Stephen Dwoskin, 1971, 12’ (SONORE)
Ai (Love), Taka Iimura, 1962, 10’ (SONORE)
Aka Ana, Antoine d’Agata, 2008, 22’ (VOSTF)
A Fire in my belly, David Wojnarowicz, 1986-87, 21’ (SILENCIEUX)
El Carrer, Joan Colom, 1960, 30’ (SILENCIEUX)
Cette séance d’expériences rassemble une poignée de films entretenant une correspondance avec quelques-uns des champs que traverse le travail de d’Agata : la nuit, la folie, l’Autre, le dépassement de soi. Chacune à leur façon, ces œuvres expérimentales entourent Aka Ana, un film « work in progress » qu’Antoine d’Agata tourne depuis 2006, en en modifiant sans cesse la structure, le montage.
Expériences s’ouvre avec deux fulgurances signées Stephen Dwoskin et Taka Iimura, deux films d’une grande beauté plastique, habités par une pulsion scopique délirante, où la caméra voudrait aller par-delà la surface de l’image, dans le grain, au plus profond de la peau et de la sensation.
Cette même pulsion habite Aka Ana, ici présenté dans le montage réalisé pour l’exposition L’Image d’après, à la Cinémathèque, en 2007. D’Agata y passait le relais à six femmes rencontrées dans Tokyo, chacune racontant son histoire et s’emparant du film en en bouleversant le point de vue.
La séance s’achèvera sur A Fire in my belly, poème filmé et exubérant de l’artiste new-yorkais David Wojnarowicz (mort en 1992) où Wojnarowicz s’enfonce, à l’occasion d’un voyage au Mexique, dans un rêve de désir et de mort.
Enfin, la nuit tombera sur El Raval, le quartier des brigands, des matelots et des prostituées de Barcelone, avec El Carrer, filmé en super8 au début des années soixante par celui qui l’aura photographié toute sa vie, le catalan Juan Colom.
Le film Dirty est disponible dans le coffret Stephen Dwoskin en vente sur theendstore.com
AGONIE / Mardi 12 février 2013 à 20h
--------------------------------------------------------------------
Main Line, Michel Bulteau, 1971, 12’ (SONORE)
Pain is..., Stephen Dowskin, 1997, 80’ (VOSTF)
En 1971, Michel Bulteau et son ami poète « électrique » Patrick Geoffrois braquent une pharmacie puis, avec une seringue hypodermique, s’injectent à peu près tout ce qu’ils y ont trouvé, dans le but d’en filmer les effets de l’intérieur, se passant la caméra à tour de rôle avant de laisser leurs tremblements diriger la mise en scène. Main Line est un film-expérience (comme on dit en laboratoire), qui a le goût amer d’un baiser avec la mort…
Dans Pain is…, Stephen Dwoskin envisage la douleur comme une vertu curative. La douleur, toutes les faces de la douleur… Ce sera l’objet d’une enquête à la première personne, où le rituel masochiste auquel se soumet depuis longtemps le cinéaste sera l’axe central par lequel passeront toutes les idées philosophiques que la douleur charrie en elle.
Mis en contact, ces deux films adressent un sourire aguicheur à l’idée même d’agonie.
ABATTAGE / Mardi 19 mars 2013 à 20h
--------------------------------------------------------------------
Le sang des bêtes, Georges Franju, 1949, 21’ (VF)
Le papier ne peut pas envelopper la braise, Rithy Panh, 2007, 86’ (VOSTF)
Pour Georges Franju, qui venait de réaliser Le sang des bêtes dans les abattoirs de Vaugirard et de la Villette, les échaudoirs représentaient la métaphore la plus concise d’un monde qui, en 1949, sortait de la découverte horrifiée des camps de concentration. Soixante ans plus tard, Rithy Panh recueille les paroles des prostituées de Phnom Penh avec la même attention avec laquelle il avait interrogé les survivants des camps de la mort des Khmers rouges. Le Papier ne peut pas envelopper la braise a été tourné cinq années après l’inoubliable S-21, la machine de mort Khmère rouge. Il en est, de façon symbolique, la suite terrible.
SITUATION / Mardi 16 avril 2013 à 20h
--------------------------------------------------------------------
Marseille vieux port, László Moholy-Nagy, 1929, 3’,VF, (SILENCIEUX)
Mise au point, Ode Bitton, 1972,13’ VF, 16MM (SILENCIEUX)
In girum imus nocte et consumimur igni, Guy Debord, 1978, 95’ ,VF.
In Girum Imus Nocte et Consumimur Igni : nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu. Le plus long palindrome latin donne son titre au plus lyrique des films de Guy Debord, un splendide poème introspectif où, plus qu’ailleurs, le penseur situationniste dit l’essence de la dérive tout en dénonçant notre condition générale d’esclave. En première partie de programme, trois minutes d’errance du photographe Lázló Moholy-Nagy dans les ruelles du vieux port de Marseille, à la fin des années vingt. Dans ces mêmes années, dans le même port de Marseille, Walter Benjamin consignait sur papier les idées nées lors de protocoles de prise de haschisch. Au tout début des années soixante-dix (il se donnera la mort en 1972), c’est le peintre et poète lettriste Gabriel Pomerand, un des premiers compagnons de route de Debord avec Isidore Isou, qui laissera la cinéaste Ode Bitton consigner sur pellicule le rituel de prise d’opium auquel il s’adonne. Mise au point, film rarissime, rappelle certains Garrel du début des années soixante-dix.
Encore une fois éclectisme et (re)découverte sont au centre des choix de Philippe Azoury, journaliste à Libération et auteur du récent livre d'entretien avec Adolpho Arrietta que nous évoquions ici
Plus d'informations sur le site Le Bal
Encore une fois éclectisme et (re)découverte sont au centre des choix de Philippe Azoury, journaliste à Libération et auteur du récent livre d'entretien avec Adolpho Arrietta que nous évoquions ici
Plus d'informations sur le site Le Bal
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire